La salle d’audience se fait silencieuse. Le pasteur Rachid Seighir se redresse, attendant le verdict de son dernier appel.
Sa librairie dans la ville d’Oran, en Algérie, est fermée depuis 2017, date à laquelle la police a confisqué son matériel d’impression. À l’époque, il était accusé d’imprimer et de distribuer de la littérature chrétienne. Bien que le juge lui ait alors donné raison et que son matériel lui ait été rendu, la librairie n’a jamais rouvert. En 2021, l’accusation est réapparue, glissée sous la porte de l’église que Rachid dirigeait. Il a été condamné à une amende et à deux ans de prison. Le gouvernement algérien a aussi fermé l’église.
À présent, le monde de Rachid est en suspens. Avec un petit geste, le juge prononce le verdict : un an de prison avec sursis et une amende. Rachid pousse un long soupir de soulagement et quitte le palais de justice, profondément reconnaissant de rentrer chez lui auprès de sa femme et de ses deux enfants adolescents plutôt que d’en prison.
Grâce à ses frères et sœurs du monde entier qui le soutiennent dans la prière, Rachid a pu continuer à faire appel de l’accusation, mais ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve au tribunal. Face aux privations de liberté, il sait ce qu’il en coûte de partager activement l’amour de Dieu dans son pays.
En octobre 2017, quelques années avant son audience en appel et avant que le gouvernement n’impose de sévères restrictions aux rassemblements d’Églises, des disciples algériens de Jésus aux abords de la ville côtière d’Oran découvraient un sceau de cire rouge recouvrant la serrure et dégoulinant sur la poignée de la porte de la Maison de l’espoir, une église protestante et un lieu de service de premier plan. Selon un ordre du gouverneur d’Oran, toutes les activités et réunions à la Maison de l’espoir et dans plusieurs autres églises à travers le pays devaient cesser immédiatement.
En septembre 2018, les croyants d’Algérie, réunis au sein de l’Église protestante algérienne (EPA), ont entamé une année de prière et de jeûne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Les deux années suivantes ont apporté plus de troubles : plus de fermetures d’églises, plus de pression sur les propriétaires fonciers louant des espaces aux chrétiens, plus de persécution pour les croyants individuels, y compris des peines de prison pour ceux accusés de prosélytisme. Puis la pandémie a frappé et donné au gouvernement algérien une raison supplémentaire de restreindre le rassemblement des croyants protestants.
Le pasteur Youssef Ourahmane, vice-président de l’EPA, et son épouse, Hie Tee, sont des pionniers du mouvement de formation de missionnaires et de disciples en Algérie, et les fondateurs de la Maison de l’espoir. Ils considèrent que les récents épisodes de persécution sont « en quelque sorte normaux ». « Nous persévérons tous parce que nous devons continuer à tenir bon et laisser le Seigneur combattre pour nous. »
Mon contact avec les Ourahmanes s’est fait par téléphone depuis leur maison dans le sud de l’Espagne, où ils attendaient que les restrictions de voyage soient levées. Ils possèdent un appartement en Algérie qui, tout comme la Maison de l’espoir, a été scellé dans les premiers jours de la série de fermetures d’églises. « Nous avons transformé la fenêtre en porte », dit Hie Tee. « Le Seigneur nous donne le courage et la paix pour faire ce que nous avons à faire. »
La persécution, bien sûr, n’a rien de nouveau pour les chrétiens. Jésus lui-même a été maudit, critiqué, condamné et finalement crucifié — avant de ressusciter des morts et d’apporter l’espoir, la paix et l’assurance de l’amour de Dieu dont les croyants bénéficient aujourd’hui. Malgré les menaces et les agressions physiques auxquelles ils ont été confrontés, Hie Tee affirme que « les disciples ont continué à partager l’Évangile, et cela ne s’est pas arrêté depuis. De la même manière, nous poursuivons simplement, avec sa protection, sa grâce et sa force qui nous équipent, et son Esprit saint. C’est à lui que revient la gloire ».
Youssef acquiesce. « La plus grosse erreur que l’Église puisse commettre est de céder à la peur », en particulier au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, où les disciples de Jésus sont souvent confrontés à de fortes réactions de la société et à des persécutions pour leur foi. « Tant d’Églises ont cédé à la peur, et ne sont pas parvenues à faire ce que Dieu leur a demandé de faire ».
Khaled Hamoud
Avant la vague de répression du gouvernement contre les rassemblements chrétiens, les fidèles de l’une des plus grandes églises situées dans les montagnes aux cimes enneigées de Kabylie — le berceau du réveil algérien — arrivaient une heure à l’avance pour s’assurer une place. Les croyants se rassemblaient dans le calme et se préparaient à adorer Dieu et à accueillir la présence du Saint-Esprit. Les cultes se prolongeaient régulièrement pendant près de trois heures. Ensuite, comme certains n’étaient pas pressés de partir, ils restaient sur place et passaient encore du temps ensemble.
Depuis l’une des toutes premières actions d’évangélisation dans la région en 1981, quand une trentaine de jeunes hommes ont décidé de suivre Jésus lors d’un tournoi de football, la lumière du Christ a insufflé la vie à des centaines de milliers d’Algériens, suscitant d’innombrables groupes de maison et Églises. L’Église naissante, bien que reconnue par le gouvernement, a été persécutée dès sa création. Comme Rachid, les premiers croyants algériens mémorisaient des versets sur la façon de surmonter la peur, sachant qu’ils pouvaient perdre leurs moyens de subsistance, voire leur vie, s’ils décidaient de suivre Jésus.
Les restrictions d’accès aux bâtiments d’Église et à des lieux comme le Centre Emmanuel, un grand centre de formation missionnaire en Kabylie, ont également eu un impact sur la formation à l’évangélisation. Youssef et Hie Tee avaient rêvé d’envoyer 1 000 croyants algériens pour partager l’amour de Dieu dans d’autres pays d’ici 2025. « La fermeture de l’Église nous a conduits à plus d’humilité à bien des égards », commente Hie Tee. Le discipulat et la formation ont perduré, mais à une échelle plus réduite. « Le grand changement pour lequel nous allons prier, c’est qu’à travers cela, au sein de l’Église du Christ en Algérie, il y ait des gens qui s’éveillent à la mission. » « Dieu est aux commandes, et Dieu est en train de purifier l’Église et de faire en sorte que les gens le cherchent. »
En tenant bon, l’Église algérienne est devenue un exemple pour les autres chrétiens de la région, en particulier ceux issus de milieux musulmans. Les croyants algériens sont « tous des convertis musulmans, mais ils n’ont pas peur ; ils résistent », dit Youssef. « Ils ne sont pas seulement prêts à croire, mais aussi prêts à souffrir. »
Ces souffrances ont également suscité un soutien international. Des dirigeants américains, français et suisses sont intervenus en faveur des croyants algériens. Du fait de la persécution, le monde en a appris davantage sur la situation et la bravoure de l’Église algérienne.
Et si les chrétiens d’Algérie n’ont toujours pas le droit de se réunir en grands groupes dans des bâtiments d’Église, ils continuent à diffuser l’Évangile en ligne par le biais de ministères très actifs sur les réseaux sociaux et de programmes télévisés sur Internet diffusés en arabe, en kabyle et en français.
Le fait de pouvoir se rassembler est un cadeau, mais même lorsque cela est interdit, Dieu est toujours à l’œuvre. « Malgré tout cela, dit Youssef, les gens continuent à venir à la foi. »
Photo de couverture de Daoud Abismail
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